Bernard et Bianca - La taille et la survie
Où l'on revient sur un dessin animé de Disney sorti la même année que Star Wars. Mais sans sabres lasers.
Il n’est pas de ceux que l’on cite en premier. Il n’est même pas forcément de ceux dont l’on se souvient, tous dessins animés confondus. Ni même le plus cité parmi les productions Disney de la période supervisée par Wolfgang Reitherman (c’est-à-dire la décennie 60/70) puisque, quelque part, il marque la fin d’une ère. Une ère qui aura connu, quasiment dans la foulée, un chamboulement dans le traitement de la technique de l’animation au sein des équipes techniques, le décès de Walt lui-même et le passage de relais d’animateurs chevronnés (les fameux Old Nine sur lesquels on reviendra plus bas) à la nouvelle génération. De fait, et peut-être en raison de tout cela, on lui préférera toujours Les Aristochats, Les 101 Dalmatiens, Le Livre de la Jungle ou Merlin l’Enchanteur au cœur des conversations.
Sorti en 1977, Les aventures de Bernard et Bianca appartient donc à ce lot de classiques Disney se situant un peu à part du reste de ses congénères. Ni détesté ni adoré. Ni totalement réussi ni même pleinement ambitieux, c’est-à-dire porté par une volonté d’oser quelque chose de différent, à l’instar d’un Belle et le Clochard (1955) sorti en format Scope ou de Fantasia (1940)- dont on ne mesure pas à quel point pareil long métrage d’animation, sorti droit d’une usine à rêves grand public comme l’était Walt Disney Pictures, était complètement avant-gardiste pour son époque.
Non, Les aventures de Bernard et Bianca n’est absolument rien de tout cela. C’est un film qui fait agréablement semblant de réinventer la roue du récit d’aventures avec deux souris (animal évidemment symbolique dans l’histoire de l’industrie disneyienne) et qui se situe à la hauteur de ses héros: modeste et plein de bonne volonté.
De fait, si le dessin animé est loin d’être parfait, on finit toujours par se souvenir de Bernard et Bianca pour ses morceaux de bravoure clairsemés au milieu d’une intrigue, il est vrai, un tantinet laborieuse à se mettre en place. A cela s’ajoute une économie de moyens plutôt visible, les productions Disney nous ayant habitué à plus de soin et davantage de finitions dans les contours et autres détails d’arrière-plan, et qui s’insinue y compris dans ce que l’on ne voit pas. Par exemple, le postulat de départ est expédié à grand coups d’ellipses dès le générique de début. Il n’y a également aucun passage chanté par les personnages principaux (étape traditionnelle de tout bon Disney qui se respecte); certes, le ton relativement sombre de l’ensemble ne s’y prête guère mais on peut lire dans cette absence symbolique une autre preuve formelle de l’économie relevée plus haut.
Le ton sombre et l’économie de moyens disions-nous. Peut-être faut-il y voir là une des raisons pour lesquelles Bernard et Bianca n’est donc pas de ceux que l’on cite forcément en premier et, ce, en dépit de tous les efforts des Old Nine, ces neuf animateurs phares à qui Disney doit probablement tout, pour allouer du rythme et de l’élégance à l’ensemble. Il faut dire qu’une orpheline enlevée, séquestrée puis envoyée dans un puits par un duo de méchants à la recherche d’un énorme diamant n’est pas ce que l’on peut qualifier un postulat propice à rassurer les parents. Certes, Medusa n’a pas la carrure d’une Cruella (personnage auquel il est impossible de ne pas penser) mais elle demeure suffisamment perverse pour se distinguer de la galerie de villains qui existe.
La deuxième partie du film, assurément la plus réussie, alterne moments de comédie pure (notamment tout le running gag autour de la libellule Evinrude qui ne cesse de s’essouffler) et des scènes de terreur à hauteur d’enfant, à peine atténué par la présence du duo dynamique (Bernard est peureux, Bianca est amusée). Cette épave qui prend la relève des décors principaux, et ces poursuites dans les marais de la Louisiane, avec deux crocodiles aux babines dégoulinantes, sont autant de marqueurs qui témoignent d’un penchant pour l’effroi qui a toujours subsisté chez Disney. Il s’avère qu’ici, les scénaristes/animateurs semblent vouloir en multiplier les effets pour rehausser l’ampleur de l’ensemble. Ce n’est donc plus une question de taille mais une question de survie à laquelle la petite Penny et les deux rongeurs sont confrontés. Et un objet aussi familier, aussi rassurant, et aussi protecteur qu’un doudou devient alors un instrument de détournement particulièrement réussi.
Assurément, c’est dans ces moments là qu’une forme de charme et de magie opère véritablement et que le mot « aventure » prend alors une tout autre dimension.
ON N’EN A PAS PARLÉ MAIS:
Les aventures de Bernard et Bianca s’intitulent The Rescuers en anglais dans le texte. Soit Les Sauveteurs. Comme quoi, faire des études longues…
Si le film est l’ultime production réalisée par Wolfgang Reitherman, ce dernier donnera un dernier coup de crayon en participant à l’animation de Rox & Rouky, autre production qui a marqué une génération de spectateurs mais qui reste déconsidérée par la majorité des critiques.
Pour la petite histoire, Les aventures de Bernard et Bianca dépassera Star Wars au box-office français. Pas mal non pour un film dont on se souvient souvent à la fin des conversations ?
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