Ted Lasso - L'esprit de groupe
Où l'on revient sur une série généreuse et à l'optimisme essentiel en cette époque mortifère...
Do you remember what you said when I got dumped by that cruised-shaped dancer and swore that I would never date another dancer again ?
« Can I have you tap shoes ? »
« All people are different people »
All people are different people. Chaque personne est différente. Ce qui pourrait être perçu comme une réplique bateau, éculée, totalement démagogique, voire carrément ridicule, ne sort pas de n’importe quelle bouche. Celui qui assène ce truisme désarmant est Coach Beard, l’un des personnages les plus cools qu’ait habité la télévision depuis quelques lurettes, ne serait-ce que parce qu’il porte la casquette comme personne. Petite anecdote au passage pour replacer la dite réplique dans le contexte de l’épisode: Coach Beard rappelle à son ami Ted ce que Ted lui a affirmé lorsque Beard était lui-même dans le besoin et la détresse sentimentale. Tout est affaire de nuances et, en l’occurrence et c’est à peine un scoop que de l’écrire noir sur blanc : l’être humain en est pétri.
All people are different people. Sans doute faut-il voir dans cette assertion la matière première avec laquelle la série Ted Lasso construit sa philosophie. Comment cette vision des choses et du monde nourrit, et chérit, une écriture d’abord comique, généreuse jusqu’au débordement de sentiments, pour ensuite laisser la contagion d’un optimisme Frank Capraiesque grignoter du terrain vers une mélancolie latente. Laquelle conquiert elle-même du terrain des contrées où le drama avait déjà égrainé de jolies pousses. La manière dont le show évolue sensiblement vers une ambiance davantage sombre et profonde est plus que subtile puisque, littéralement, elle s’inscrit dans une double durée : celle de la narration – qui, à l’instar de toute série, se déploie dans le temps- et celle du format des épisodes eux-mêmes, de plus en plus long donc de plus en plus nuancés.
All people are different people.
Avant d’être une comédie, multiplement récompensée aux Emmy Awards, Ted Lasso est un ensemble show. Comprendre dans ce jargon télévisuel qu’elle est une série qui fait la part belle à une distribution toute entière.
C’est sans compter le talent des showrunners qui, non content de slalomer entre les balises du soap, du sport drama et de la comédie avec ce qu’il faut d’adresse, vont patiemment placer des détails, des répliques, ce que l’on pensait être des gimmicks sur la parure de chaque personnage pour y gratter son intérieur jusqu’à l’os.
Ted Lasso demeure peut-être le personnage principal éponyme de la série développée par Jason Sudeikis et Bill Laurence, mais elle est bel et bien avant tout une histoire collective. Celle d’un club de football en berne qui va tenter de reprendre des couleurs par l’intermédiaire d’un hurluberlu au grand cœur dissimulant son anxiété derrière un optimisme convaincu. Un esprit guerrier riche en calembours et attention qui ne sera pas de trop pour rassembler ce groupe d’individus forcément bouffé par une guerre d’egos. Et qui croient davantage en l’autre qu’en eux-mêmes ; la faute – et les scénaristes ont visiblement potassé leurs cours de psychologie- à une figure paternelle défaillante qui occasionne bien des réactions et comportements divers.
Assurément, toutes ces nuances ne sont pas immédiatement visibles tant le spectateur se prend Ted Lasso comme une étreinte. Chaleureuse, délicate, communicative, parfois cathartique, mais comme un énorme bol d’air pur qui aère largement notre époque de son ambiance anxiogène. Ted est lui-même – du moins au début- un personnage qui déborde : son enthousiasme est trop démonstratif pour être proprement sincère, quand bien même on y adhère immédiatement ; la majeure partie de la saison 1 verra Rebecca (Hannah Waddingham, merveilleuse) tenter de débouter Ted du club, tâche qui s’avèrera impossible tant le coach est irréprochable. Attentif, à l’écoute, aux petits soins.
C’est sans compter le talent des showrunners qui, non content de slalomer entre les balises du soap, du sport drama et de la comédie avec ce qu’il faut d’adresse, vont patiemment placer des détails, des répliques, ce que l’on pensait être des gimmicks sur la parure de chaque personnage pour y gratter son intérieur jusqu’à l’os. Avec tact et sans posture morale. C’en est d’autant plus frappant lorsque l’on se refait le film : Ted Lasso, entre deux éclats de rire et de pep talks bien sentis, est riche de petites grenades que le diable attend patiemment de dégoupiller. La solitude, l’angoisse, la dépréciation, la peur de l’abandon sont autant de thèmes qui viendront teinter des épisodes tels que Make Rebecca great again (1×07), Rainbow (2×05) ou Headspace (2×07) d’une certaine forme de tristesse.
Lorsque le spectateur débute la série, on peut dire qu’il est à mille lieues de se douter de la mue que le show va entreprendre. Entendons-nous bien : Ted Lasso reste une comédie, riche de moments comiques et de références délicieuses plus ou moins tacites (entre les hommages, les citations et les répliques, le show est une parade en l’honneur de la culture populaire et à l’intelligence du public). Mais c’est une comédie qui, comme toute comédie digne de ce nom, possède son revers dramatique. Difficile d’en dire davantage sans révéler la surprise et l’étonnement avec lesquels la série, notamment la saison 2 (une démonstration d’excellence dans l’écriture), va avancer. Dans une scène iconique de la saison 1 où Ted brille de mille feux lors d’un mémorable duel de fléchettes, le poète Walt Whitman s’invite le temps de quelques vers à la portée plus que symbolique : Be curious, not judge mental.
Soyez curieux. N’ayez pas d’a priori. Prenez donc le temps de découvrir les protagonistes de cette série magique en tous points : ils sont tous différents et humains, malgré tout.
QUELQUES TRUCS EN PLUS ET EN VRAC
– Alors si on se passerait volontiers du placement de produits surligné par Apple (comme si l’on ne savait pas que c’était Apple qui diffusait la série), on pourra en revanche se délecter de la bande son ultra riche présente au fil des épisodes.
– Lors d’une interview, Jason Sudeikis a comparé la saison 2 de Ted Lasso avec L’Empire contre-attaque. On vous laisse le soin de découvrir pourquoi (et, a posteriori, c’est quasiment une évidence).
– La scène iconique où Ted joue aux fléchettes, c’est celle-ci. Et, a posteriori (bis), il se pourrait bien que son adversaire puisse être l’équivalent de l’empereur Palpatine.
- A l’instar de The Bear évoqué la fois dernière, je ferais un focus sur la troisième et dernière saison de Ted Lasso. Il va falloir patienter…
Ted Lasso (USA, 3 saisons, 34 épisodes/ Apple TV+).
Série télévisée américaine créée par Bill Lawrence, Jason Sudeikis, Brendan Hunt et Joe Kelly, diffusée depuis le 14 août 2020 à l’international sur Apple TV+.
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Jeoffroy